22 mai 2011

Affaire DSK : la connivence des puissants, le mépris des misérables



« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Ces mots de Jean de la Fontaine écrits au 17ème siècle trouvent un triste écho dans notre France contemporaine de ce début de 21ème siècle. Difficile d’admettre que rien ou peu a changé depuis la Révolution Française et la fin du système monarchique. Stephen Clarke le décrit très bien dans son article du New York Times daté du 17 mai dernier (et repris par Courrier International) : « La France est persuadée qu'elle a fait la révolution, alors qu’elle s’est juste donnée une nouvelle élite, encore plus puissante ». 

Cette réalité n’est pas nouvelle mais elle a éclaté au grand jour avec l’affaire DSK. Ce tintamarre médiatique a eu le mérite de faire ressortir tout ce qu’il y a de plus écœurant dans le système médiatico-politique français. Un niveau d’écœurement tel qu'aujourd’hui le système lui-même se trouve obligé de faire, chose extrêmement rare, son propre procès. L’histoire retiendra en tout cas que ce 15 mai 2011 aura été le 11 septembre de l’élite française, le jour où toutes les certitudes pratiques d'une certaine caste ont volé en éclat.

Au cours de cette longue semaine de feuilleton judiciaire, je m’étais pourtant juré que je n’allais pas écrire sur l’affaire DSK pour ne pas me retrouver à commenter une partie de Cluedo dont je ne connais absolument rien.

Mais j’ai tout de même une furieuse envie de m’exprimer sur la connivence de caste qui soudainement, à travers ce coup de tonnerre politique, est apparu comme une évidence aux yeux des Français... une connivence abjecte dont les protagonistes, aveuglés par leurs émotions et leurs amitiés, ont mis plusieurs jours à en réaliser le triste spectacle. C’est comme si pendant quelques jours on avait entrebâillé la porte du cercle des élites françaises et que toute la connivence de ces gens là avait été exposée (par inadvertance) à nos yeux de misérables. Heureusement, nos élites, réalisant qu’on les observait de nos chaumières provinciales, se sont reprises et ont doucement refermé la porte sur un mea-culpa poli.

Mais le mal était fait. Et aujourd’hui nous sommes nombreux à être dégoutés par cette connivence de caste que Jean de la Fontaine aurait sûrement eu à coeur de dénoncer s'il avait connu notre époque.

J’en veux tout d’abord à Dominique Strauss-Kahn d’avoir sali notre pays. Qu’il soit coupable ou non, ses frasques étalées en une de toute la presse internationale ont donné  une image désastreuse de la France, un pays où la classe politique agit en toute impunité à l’abri d’une élite médiatique qui la regarde agir avec amusement et bienveillance.

J’en veux au système judiciaire français d'être si complaisant avec nos dirigeants politiques. Qui peut croire une seule seconde que cette même affaire aurait donné lieu à des poursuites en France ? Le fameux « tout le monde savait ». Oui mais en France les puissants ont les moyens de faire pression sur les victimes. La dépendance des procureurs envers le pouvoir exécutif est également un frein important au juste traitement des affaires.

J’en veux à cette solidarité de caste qui s’est exprimée ces derniers jours. J’en veux à toutes ces élites, ces élus politiques, ces journalistes, ces éditorialistes, qui tout d’un coup ne comprenaient pas que l’un d'entre eux puisse être montré menotté puis envoyé en prison comme n’importe quel citoyen américain. Ils ont parlé de honte pour la dignité humaine. Honte à eux. La justice américaine a au moins le mérite de remettre les puissants à leur place, c'est à dire au niveau des misérables qu'on n'hésite pas à condamner à la moindre faute.

J’en veux à la gauche française d’avoir perdu la bataille de la morale sur cette affaire et de faire le jeu de la droite. Comment est-ce que le Parti Socialiste a-t-il pu trahir toutes ses valeurs pour protéger l’un des siens ? Comment a-t-il pu oublier les valeurs du féminisme et de l’égalité devant la loi ? Dans cette affaire, j’en veux aux ténors du PS d’avoir ignoré la victime présumée pour privilégier la connivence entre « camarades ». Le désormais célèbre « il n’y a pas mort d’homme » de Jack Lang est une honte pour notre pays. Seules quelques personnalités et associations se sont indignées et ont dénoncé un inconscient machiste dans notre société. J’ai envie de citer Osez le Féminisme et Laurianne Deniaud, présidente du MJS.

J’en veux aussi à François Hollande d’avoir étouffé l’affaire de Tristane Banon pendant huit années, bafouant lui aussi la cause des violences faites aux femmes et le devoir républicain et non négociable d’une même justice pour tous. Honte à lui et ses acolytes qui étaient au courant.

J’en veux à la presse et aux médias de rentrer dans le jeu de nos hommes politiques et de cacher les affaires, même les plus graves, sous couvert du respect de la vie privée. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une question de respect de la vie privée. Je crois que c’est une question de connivence, purement et simplement. Comment, par exemple, peut-on imaginer que la presse soit indépendante quand tous les derniers mercredis du mois, nos journalistes parisiens les plus influents se rendent aux diners du Siècle pour décider du sort de la France en compagnie des hommes politiques de premier plan ? A l'intérieur de ce club très fermé, on compte à gauche Hollande, Aubry, Jospin, Fabius et bien sûr DSK. Ségolène Royal et Arnaud Montebourg n'étant pas sur la liste des invités, on comprend alors mieux qu’ils soient les mal aimés de l’élite médiatique.

J’en veux d’ailleurs à cette élite médiatique de ne pas faire son travail. Au lieu de nous informer, elle nous abreuve de propagande politique. Elle a honteusement essayé de nous vendre le produit DSK - malgré ce qu'elle savait du personnage - et n’a pas perdu de temps depuis dimanche pour nous faire la publicité du produit Hollande. Ce n’est plus du reportage, c’est de la réclame. Il faut aujourd’hui aller pêcher l’info dans les blogs citoyens pour réussir à s’informer convenablement.

J’en veux finalement à la France d’être un pays si centralisée. Si toute la classe politique, médiatique et financière n’était pas concentrée dans une seule ville, on n’en serait sans doute pas là. Nous n’aurions pas ce microcosme parisien où quelques élites décident du sort de 65 millions de Français en comité restreint, en prenant garde de protéger ses intérêts. Combien de gens savent que DSK était soutenu par le groupe Lagardère, l’un des groupes de presse les plus puissants au monde ? Comment peut-on croire une seule seconde que ces puissances économiques ne jouent pas un rôle considérable dans la manipulation de l’opinion publique ?

En fait, depuis quelques décennies maintenant, la classe médiatico-politique française essaye de divertir le peuple qu'elle gouverne à travers un affrontement droite / gauche finalement bien artificiel qui ne sert qu’à dissimuler la triste réalité dont parlait Stephen Clarke : notre société s’est dotée d’une aristocratie moderne, plus difficile à identifier qu'autrefois mais toute aussi puissante. Elle se croyait intouchable, l’affaire DSK l’a ébranlée. Juste ébranlé. Mais elle continuera de souffler le chaud et le froid jusqu’à la prochaine présidentielle.

J'espère que nos élites françaises vont bientôt connaître un second 11 septembre politique. J'espère que Ségolène Royal qui a su garder une certaine indépendance vis-à-vis de ce microcosme parisien saura déjouer les pronostiques. La France a besoin de quelqu’un qui sera la porte parole du peuple, qui travaillera avec le peuple et qui gouvernera pour le peuple. Pas pour les amis d'une certaine caste. Elle est celle que l’élite française a d'ores et déjà choisi de déclarer hors-jeu. Cherchez l’erreur.

Très bon article d’Agoravox en complément.

10 commentaires:

  1. A part un petit commentaire final... ;) j'adhère totalement à tes idées et tes impressions! très belle analyse, très constructive. si ca te dérange pas je te pique cet article pour le partager!

    RépondreSupprimer
  2. Ton article me semble respectable, même si je ne suis pas d'accord avec tout, mais, dans ce cas-là, il s'agit de mon pragmatisme qui parle.

    Je me permettrai d'ajouter un détail:

    j'en veux à M. Bernard-Henri Levy, pour tout le mal qu'il fait à la France et à sa diplomatie. J'en veux à ce philosophe chez qui sagesse et mesure ne sont qu'illusoires. Je lui en veux pour ses propos profondément lamentables (rapprochement Kadhafi et National-socialisme) lancés à la télévision allemande lors de la crise libyenne.
    J'en veux à ce faux playboy à la chemise ouverte, qui n'a de cesse de se faire passer pour le ministre des Affaires étrangères bis et de se rendre en Libye ou à l'étranger pour parler maladroitement de la morale, du bon sens et de ce que doivent faire les nations, car LUI, il sait. LUI, il a vu.

    J'espère que quelqu'un dans les hautes sphères de l'Etat aura la possibilité de le bâillonner, car cet individu est nocif pour l'image de la France, qui n'a pas besoin de telle ignominie. Cette personne, aussi méprisable soit-elle bénéficie pourtant des grâces de l'Elysée. Mais tôt ou tard, il faudra s'en justifier.

    RépondreSupprimer
  3. @Geneviève : Merci ! Et au contraire, je t'encourage à partager !

    @anonyme : Merci pour ce complément sur BHL que j'aurais pu écrire !

    RépondreSupprimer
  4. Bonjour,
    Je suis très chanceux et heureux de lire ton article et ceci grâce à Twitter.
    C'est merveilleux a quel point tu as a su "transcrire mes pensées".
    J’espère que nous sommes nombreux à partager ces points de vu.
    Je vais probablement partager ce texte avec mes relations.
    Bravo. Mes Salutations.

    RépondreSupprimer
  5. Merci Ayache pour ce commentaire. Je suis content que mon billet trouve une raisonnance dans les colères d'autres internautes. Twitter est en effet un formidable outil pour partager nos idées et regrouper nos énergies. Quel est votre pseudo sur Twitter que je vous suive ? (si ce n'est pas déjà le cas)

    RépondreSupprimer
  6. Tout à fait d’accord avec toutes ces raisons de s'indigner. Un des avantages cependant de ce qui vient de se passer avec cette descente aux enfers de DSK, c'est que nous sommes nombreux à découvrir d'une manière assez démonstrative et significative que nos élites intellectuelles, politiques, économiques, médiatiques de droite comme de gauche sont dans l'ensemble de connivence,solidaires de leurs privilèges de puissants, se pardonnant réciproquement toute atteinte au respect que l'on doit à tout homme ou femme, se permettant de bafouer la loi et les règles qu'ils exigent des autres. Tout cela ne peut qu'accentuer le fossé qui s'est creusé entre cette classe de ceux qui nous dirigent et le peuple que nous formons. D'accord avec la conclusion de l'article : Ségolène Royal,présidente, car proche du peuple et se mettant prioritairement à son service.

    RépondreSupprimer
  7. lyta_alexander22 mai 2011 à 17:47

    At LAST ! Someone who goes beyond basic american and french bashing ! yes the US system and Perpwalk is far from being ideal. But The constitution is solid, more than 200 years old and protects the people. Such a case would have never come to light in France where the richs and powerful can express their might over the Justice's system. The french revolution is a joke.

    RépondreSupprimer
  8. Merci pour ce texte Mathieu qui traduit, je pense, l'état d'esprit d'une très grande majorité de socialistes et militants d'une gauche humaniste, constructive, et qui adhère aux valeurs que porte cette S. Royal qui n'a de cesse de mettre faire entrer dans les faits les valeurs qu'elle proclame. Une chappe de plomb s'est soulevée. C'est douloureux, mais cela à certains de comprendre la réalité et les dangers d'une chape de plomb qui était depuis des années posée sur la personnalité et les actes d'une frange de politiciens. Les français pourront maintenant faire en toute lucidité leur CHOIX DE SOCIETE - car il s'agit bien de cela - en décidant d'être des moutons ou des citoyens éclairés. Cet affaire, si nauséabonde soit-elle, a permis aux français et à d'autres peuples peut-être de se questionner sur la pertinence de leurs choix passés et à venir, et sur la vigilance que cela exige de la part de chacun.
    jocegaly

    RépondreSupprimer
  9. Un coup d'essuie tout sur toute cette pourriture, sur toutes ces "pourritures", ne serait pas pour déplaire au peuple Français. Qu'il porte le bon jugement sur les personnes et voit qui est sans taches ou connivences. Au lieu de toujours raler, de se désoler d'avoir été berné. Mme Royal est propre et
    incorruptible, on peut être sur qu'elle fera ce qu'elle avait dit.

    RépondreSupprimer
  10. Encore une fois "absolument fabuleux" ! Et en tous points !!!!

    Au travers le cas "DSK", tu soulèves les questions essentielles et tes analyses sont justes.
    Tu dépeints tellement bien les choses que, finalement, tu fais le lit des abstentionnistes ; ) Car... impossible devant de tels constats de ne pas avoir en tête le fameux "tous pourris" !
    Les lascars de la politique seront remplacés par d'autres lascars, peut être même pires et plus "doués" dans la manipulation !
    Alors, comment y croire encore ?
    Comment s'imposer en politique aujourd'hui, vu son mode de fonctionnement, si on a pas trempé aussi dans son système ???
    Pire, comment se démarquer et donner confiance au peuple, si on appartient à une formation politique maintes fois prise en flagrant délit d'initiés et autres magouilles ???

    Pour le fond de cette affaire, il est de bon ton de dire que la Justice tranchera, mais... Je le dis en démocrate et non en convaincu !!!
    Le système judiciaire américain étant totalement pervers ! Prompt à jouer les pères la morale (à grand renfort médiatique quand même), les puissants s'en sortent souvent à la fin avec un gros chèque ou une sanction ridicule par le biais d'enquêtes qui viennent fouiller un passé de victime qui devrait rester où il est puisque seuls les faits comptent !
    Les éléments de ces enquêtes ont pour but de trouver des failles chez la victime. Si elle a déjà menti cela jouera contre elle... C'est déjà "juger" puisque tout à chacun devrait pouvoir être pris au sérieux et les fautes d'hier ne font pas celles d'aujourd'hui. Entre temps, il est permis de changer et puis, surtout, le passé ne devrait pas éternellement peser ! Sinon, vive la partialité ! Du reste, on peut mentir pour protéger une faute professionnelle mais avoir quand même été victime !!! Ces nuances, visiblement, les USA n'en ont cure ! Et cette remarque s'applique à l'auteur comme à la victime !

    Bien cordialement.
    Balthazar

    RépondreSupprimer