21 janvier 2011

L'Université doit revoir sa copie


Le chômage des 15-24 ans frôle en ce début d’année les 25% et atteint même 43% dans les banlieues selon le nouveau rapport de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles. Ces chiffres alarmants sont certes la conséquence d’une longue période de crise économique mondiale - l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique) estime que 21% des jeunes européens sont au chômage – mais cette situation est également le résultat d’une politique de la formation et de l’emploi qui n’est plus adaptée aux besoins réels du pays. Les études supérieures, telles qu’elles s’organisent aujourd’hui en France, ne permettent pas une insertion efficace des étudiants sur le marché du travail. Elles laissent des milliers de jeunes diplômés désemparés lorsqu’au terme de longues études la société ne leur donne pas la possibilité, à travers un emploi, de mettre à profit les connaissances et les compétences qu’ils ont acquises. Ces jeunes ont souvent le sentiment d’avoir été trompés et de ne pas pouvoir récolter les fruits de leur investissement.

C’est donc un nouveau modèle de société qu’il faut à présent imaginer. Il faut que se multiplient les passerelles entre l’université et le marché de l’emploi et que les jeunes diplômés puissent devenir plus rapidement les jeunes « actifs en activité » dont la France a besoin. Mais il faut pour cela que le système universitaire français s’efforce à mieux orienter ses étudiants.

A titre d’exemple, on peut citer une réforme gouvernementale récente qui va justement à l’encontre du bon sens : la décision de mastériser le recrutement des enseignants. Avant 2010, les futurs professeurs entraient en IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres) à bac + 3 après un concours. La réforme voulue par Nicolas Sarkozy repousse le passage de ce concours à la deuxième année de Master. Cela signifie que les jeunes qui souhaitent consacrer leur vie à l’enseignement vont devoir s’engager dans des études généralistes qui dureront cinq ans avant de passer la fameuse épreuve qui leur indiquera s’ils sont admis au concours. Certains se présenteront et échoueront deux ou trois fois avant de se décourager et de réaliser qu’ils se retrouvent titulaires d’un Master qui ne leur permettra pas d’exercer le métier auquel il se préparait depuis cinq ans.

Nombreuses à la fac sont les filières dites « embouteillées » ou « engorgées », ces filières qui attirent un grand nombre d’étudiants en première année et dont le caractère sélectif se durcie au fil des années, laissant de côté un grand nombre d’étudiants en chemin. C’est le cas par exemple de la filière « psychologie » qui fonctionne tel un entonnoir. Les étudiants s’y ruent par milliers en première année. A peine la moitié arrive en Master 1 et le passage en Master 2, hyper sélectif, relève de l’exploit. Plus grave encore, les psychologues diplômés arrivent généralement en trop grand nombre sur un marché du travail saturé. Ce système produit automatiquement des parcours universitaires que l’on pourrait qualifier de « précaires » puisqu’il entraîne les étudiants dans des études longues qui ne garantissent pas l’obtention d’un diplôme et encore moins de véritables débouchés professionnels.

On pourrait alors se demander s’il ne serait pas préférable de remettre les choses à l’endroit en renversant ce système de l’entonnoir afin que le nombre d’étudiants que l’université forme soit en meilleure adéquation avec les besoins réels du marché du travail. Lors de sa convention pour l’égalité réelle, le Parti Socialiste a proposé de faire des premières années d’étude à la fac des années plus « généralistes ». Pourquoi ne pas utiliser la première année par exemple comme une période de transition, sur le modèle de la première année de médecine, pour préparer les concours de son choix (psychologie, sociologie, sciences de l’éducation, etc.) et n’accueillir ensuite que le nombre d’étudiants dont on est sûr que la société peut leur garantir un avenir professionnel ? Ce système n’est bien sûr pas généralisable à toutes les filières mais permettrait quand même de sécuriser un certain nombre de parcours et de mettre un terme à un grand gâchis de temps, d’argent et d’énergie.

Lors de son passage à Lyon en octobre, dans le cadre de la conférence-débat « Quel pacte pour la jeunesse ? », Ségolène Royal a fait quelques propositions intéressantes qui sont autant de pistes nouvelles à explorer pour une meilleure insertion des jeunes diplômés dans la vie active. La professionnalisation des parcours est au cœur de cette nouvelle stratégie. Il faut par exemple inciter les entreprises à s’ouvrir davantage aux jeunes. L’ensemble du tissu économique doit être mobilisé pour développer l’apprentissage et aider les jeunes apprentis à trouver plus facilement une place. A l’image de ce qui se fait en Allemagne, la formation en alternance doit également être généralisée afin que les étudiants aient un pied dans le monde du travail. Enfin, il faut mettre à la disposition des jeunes, de toutes conditions sociales sans distinction de classes, des « bourses tremplin » qui leur permettent de monter plus facilement leur propre entreprise.

Il est important que l’Etat français fasse confiance à la jeunesse et lui donne toutes les chances de réussir. Il ne s’agit pas d’instaurer une société de l’assistanat mais de développer un accompagnement qui soit un cadre « donnant-donnant » et « gagnant-gagnant ». Ce pacte pour la jeunesse, parce que pacte il doit y avoir, n’est en fait pas un pacte « pour » elle mais un pacte « avec » elle.

Il y aurait bien sûr beaucoup plus à dire sur les études et l’emploi en France mais ces thèmes seront, espérons-le, un axe central des primaires socialistes cette année et de la campagne présidentielle l’année prochaine. Le gouvernement actuel, malgré une réforme en demi-teinte sur l’autonomie des universités, ne semble pas avoir pris la mesure de l’urgence d’une grande réforme universitaire juste, innovante et efficace. Ce grand chantier est donc repoussé à 2012.

Espérons en tout cas que notre pays saura sauvegarder - et améliorer peut-être - notre grand modèle républicain, celui de l’école pour tous et de l’égalité des chances. Il est impératif que tous les jeunes qui souhaitent étudier ou entreprendre puissent le faire dans des conditions décentes, quelles que soient leurs origines sociales et géographiques. Quand l’Etat faillit à ce devoir, le sentiment d’injustice et de révolte peut être violent. C’est ce qui vient de se passer au printemps en Grande-Bretagne après l’annonce par le gouvernement du triplement des frais d’inscription à l’Université. Ces frais outre-Manche pourraient passer à 10.000 euros et marginaliser toute une classe sociale pour qui étudier deviendra, comme aux Etats-Unis, un luxe ou une source d’endettement.

George Danton, figure à la fois polémique et emblématique de la révolution française, avait déjà prédit en son temps : « Après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple ». Tâchons aujourd’hui de satisfaire ce besoin en créant un système plus efficace et plus juste.

3 commentaires:

  1. Tout est dit Mathieu ! Il n'y a rien à ajouter...
    Je suis aussi passée par l'Université, mais voyant l'embouteillage, je me suis retournée vers l'alternance et heureusement ! Bon j'ai perdu 2ans 1/2 mais j'ai aussi acquis la maturité pour entrer dans la vie active.
    On nous demnde de choisir un métier de plus en plus tôt! le système doit s'adapter à ça.

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  2. Je pense qu'à l'avenir la formation en alternance va être de plus en plus encouragée. Des voix commencent à s'élever, à gauche comme à droite, pour vanter les bénéfices de cette approche.

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  3. Le gros défaut de la formation universitaire française est, je pense, le manque de professionalisation des étudiants avec des cursus où il y a peu de stage obligatoire. Si l'on considère qu'il est nécessaire d'avoir un bac +5 pour être instituteur, cela peut-être louable. Là où l'Etat fait une grossière erreur c'est en recalant les IUFM au second plan, c'est à dire en réduisant cette partie professionnalisation qui faisait la qualité de la formation des maitres jusque là. Autre exemple, la supériorité des diplôme d'ingénieur face aux autre diplôme bac +5. Les recruteurs auront toujours tendances à favorisé des formation "professionnelles" (BTS, Ingé) au formation "généralistes" (universitaire). La professionalisation des diplômes est la clé de l'accès au monde du travail et tant que l'éducation nationale ne le percevra pas, il y aura des soucis d'insertion des étudiants.

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