24 janvier 2011

Mariage gay, la France distancée


« C’est à la manière dont une majorité traite ses minorités que l’on juge le degré de civilisation d’une société ».

C’est cette phrase très belle et très sage de Gandhi que Maître Caroline Mecary, avocate et représentante de SOS Homophobie, a rappelé au Conseil Constitutionnel, le 18 janvier dernier, alors qu’elle plaidait pour l’ouverture du mariage aux couples homosexuels en France. Cette séance faisait suite à la saisine de l’instance par un couple de femmes, vivant ensemble depuis 14 ans et mères de quatre enfants, qui désire se marier.

Il y a peu de chance que cette procédure aboutisse dans l’immédiat à un changement historique du code civil français. Le 28 janvier prochain, les « sages » décideront probablement de renvoyer la balle au Parlement et de remettre cette question entre les mains du Législateur. Le président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, a déjà affirmé par ailleurs qu'il ne revient pas à cette instance « de réécrire la loi » ni de « faire des choix de société ». Son rôle consiste en effet à se prononcer sur la conformité des lois à la constitution française et, contrairement à la Cour Suprême fédérale des États-Unis qui intervient en dernier recours sur de nombreuses batailles juridiques, le Conseil Constitutionnel français ne se situe au sommet d'aucune hiérarchie de tribunaux.

Mais cette saisine a tout de même le mérite de replacer le mariage gay au cœur du débat politique français. Beaucoup l’ont signalé ces derniers jours, il est tout de même inquiétant que la France, autoproclamée « pays des droits de l’homme », soit aussi en retard sur le sujet. Le mariage homosexuel est aujourd’hui pratiqué en Belgique, en Espagne, au Portugal, aux Pays-Bas, en Suède, en Finlande, en Islande, au Canada, en Argentine et en Afrique du Sud. Six Etats américains reconnaissent également le mariage gay. Certains l’ont légalisé à travers un processus législatif classique, bien que long et tortueux. En 2009, les Etats de Nouvelle Angleterre ont justement été le théâtre d’une surprenante vague de légalisations, au terme de batailles politiques parfois intenses et souvent serrées. Dans l’Iowa, la même année, c’est la Court Suprême de l’Etat qui a jugé que l’interdiction du mariage homosexuel était contraire à l’esprit de la constitution américaine et que ça n’était pas le rôle du gouvernement de s’interposer dans les affaires privés de ses citoyens.

Le Conseil Constitutionnel français, qui apriori refuse de se prononcer sur des sujets de société, ferait pourtant bien de s’inspirer de cet exemple américain. Dans le cas de la France, le problème est peut-être la Constitution elle-même. L’article 1er dit assurer « l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion » mais il omet de rajouter « sans distinction d’orientation sexuelle » alors qu’il s’agit visiblement d’une cause récurrente de discrimination dans notre société.

Aujourd’hui, dans le cadre de notre république laïque, donc détachée de tout précepte religieux, il n’existe plus aucun argument objectif qui permette de justifier l’application d’une telle discrimination dans l’accès au mariage civil. Tout le monde sent bien - et les enquêtes d’opinion le montrent - que c’est là le sens de l’histoire. Refuser un droit à une minorité de citoyens, c’est laisser entendre que cette catégorie de la population est inférieure. C’est faire de ces personnes des citoyens de second rang. Il en va quelque part de la dignité humaine. Tous les hommes et toutes les femmes de ce pays ont le droit fondamental d’être considérés égaux devant la loi et de se sentir respectés.

Certains répondront qu’il y a déjà le Pacs et que c’est bien assez. Cet argument ne tient pas quand on sait que le Pacs n’offre pas les mêmes garanties que le mariage civil en termes de filiation. Ce « détail » peut conduire à des situations absurdes, voire à des drames familiaux inacceptables. Les enfants de ces familles homoparentales sont en effet moins bien protégés que les autres puisqu’ils n’ont juridiquement qu’un seul parent qui est reconnu.

La question de l’adoption par les couples homosexuels est justement l’épouvantail habituellement agité par les conservateurs. Ce débat, beaucoup plus complexe et intéressant que celui du mariage gay, mérite réflexion mais se révèle au final assez hypocrite puisqu’on sait que de nombreuses familles vivent déjà cette situation homoparentale au quotidien sans que l’équilibre social et sociétal du pays soit dangereusement ébranlé.

Enfin, l’ultime argument des réactionnaires, qui décidément essayent de gagner du temps, est celui de la hiérarchisation des priorités. Le mariage homosexuel ne serait pas une urgence et il faudrait d’abord s’occuper de la question du chômage. Comme si un gouvernement réparti en plusieurs ministères ne pouvait mener de front des réformes économiques et sociétales.

La France, qui se targue d’avoir incarné la Philosophie des Lumières et proclamé la Déclaration des Droits de l’Homme, devrait rougir de s’être laissée distancer de la sorte par les autres pays démocratiques sur le terrain des droits civiques. Il est à présent temps que notre pays se ressaisisse et qu’il revienne aux fondamentaux qu’il n’aurait jamais dû oubliés : les libertés individuelles et l’égalité de tous les citoyens devant l’Etat. C’est le minimum que l’on puisse attendre d’un Etat démocratique et moderne digne de ce nom.

21 janvier 2011

L'Université doit revoir sa copie


Le chômage des 15-24 ans frôle en ce début d’année les 25% et atteint même 43% dans les banlieues selon le nouveau rapport de l'Observatoire national des zones urbaines sensibles. Ces chiffres alarmants sont certes la conséquence d’une longue période de crise économique mondiale - l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique) estime que 21% des jeunes européens sont au chômage – mais cette situation est également le résultat d’une politique de la formation et de l’emploi qui n’est plus adaptée aux besoins réels du pays. Les études supérieures, telles qu’elles s’organisent aujourd’hui en France, ne permettent pas une insertion efficace des étudiants sur le marché du travail. Elles laissent des milliers de jeunes diplômés désemparés lorsqu’au terme de longues études la société ne leur donne pas la possibilité, à travers un emploi, de mettre à profit les connaissances et les compétences qu’ils ont acquises. Ces jeunes ont souvent le sentiment d’avoir été trompés et de ne pas pouvoir récolter les fruits de leur investissement.

C’est donc un nouveau modèle de société qu’il faut à présent imaginer. Il faut que se multiplient les passerelles entre l’université et le marché de l’emploi et que les jeunes diplômés puissent devenir plus rapidement les jeunes « actifs en activité » dont la France a besoin. Mais il faut pour cela que le système universitaire français s’efforce à mieux orienter ses étudiants.

A titre d’exemple, on peut citer une réforme gouvernementale récente qui va justement à l’encontre du bon sens : la décision de mastériser le recrutement des enseignants. Avant 2010, les futurs professeurs entraient en IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres) à bac + 3 après un concours. La réforme voulue par Nicolas Sarkozy repousse le passage de ce concours à la deuxième année de Master. Cela signifie que les jeunes qui souhaitent consacrer leur vie à l’enseignement vont devoir s’engager dans des études généralistes qui dureront cinq ans avant de passer la fameuse épreuve qui leur indiquera s’ils sont admis au concours. Certains se présenteront et échoueront deux ou trois fois avant de se décourager et de réaliser qu’ils se retrouvent titulaires d’un Master qui ne leur permettra pas d’exercer le métier auquel il se préparait depuis cinq ans.

Nombreuses à la fac sont les filières dites « embouteillées » ou « engorgées », ces filières qui attirent un grand nombre d’étudiants en première année et dont le caractère sélectif se durcie au fil des années, laissant de côté un grand nombre d’étudiants en chemin. C’est le cas par exemple de la filière « psychologie » qui fonctionne tel un entonnoir. Les étudiants s’y ruent par milliers en première année. A peine la moitié arrive en Master 1 et le passage en Master 2, hyper sélectif, relève de l’exploit. Plus grave encore, les psychologues diplômés arrivent généralement en trop grand nombre sur un marché du travail saturé. Ce système produit automatiquement des parcours universitaires que l’on pourrait qualifier de « précaires » puisqu’il entraîne les étudiants dans des études longues qui ne garantissent pas l’obtention d’un diplôme et encore moins de véritables débouchés professionnels.

On pourrait alors se demander s’il ne serait pas préférable de remettre les choses à l’endroit en renversant ce système de l’entonnoir afin que le nombre d’étudiants que l’université forme soit en meilleure adéquation avec les besoins réels du marché du travail. Lors de sa convention pour l’égalité réelle, le Parti Socialiste a proposé de faire des premières années d’étude à la fac des années plus « généralistes ». Pourquoi ne pas utiliser la première année par exemple comme une période de transition, sur le modèle de la première année de médecine, pour préparer les concours de son choix (psychologie, sociologie, sciences de l’éducation, etc.) et n’accueillir ensuite que le nombre d’étudiants dont on est sûr que la société peut leur garantir un avenir professionnel ? Ce système n’est bien sûr pas généralisable à toutes les filières mais permettrait quand même de sécuriser un certain nombre de parcours et de mettre un terme à un grand gâchis de temps, d’argent et d’énergie.

Lors de son passage à Lyon en octobre, dans le cadre de la conférence-débat « Quel pacte pour la jeunesse ? », Ségolène Royal a fait quelques propositions intéressantes qui sont autant de pistes nouvelles à explorer pour une meilleure insertion des jeunes diplômés dans la vie active. La professionnalisation des parcours est au cœur de cette nouvelle stratégie. Il faut par exemple inciter les entreprises à s’ouvrir davantage aux jeunes. L’ensemble du tissu économique doit être mobilisé pour développer l’apprentissage et aider les jeunes apprentis à trouver plus facilement une place. A l’image de ce qui se fait en Allemagne, la formation en alternance doit également être généralisée afin que les étudiants aient un pied dans le monde du travail. Enfin, il faut mettre à la disposition des jeunes, de toutes conditions sociales sans distinction de classes, des « bourses tremplin » qui leur permettent de monter plus facilement leur propre entreprise.

Il est important que l’Etat français fasse confiance à la jeunesse et lui donne toutes les chances de réussir. Il ne s’agit pas d’instaurer une société de l’assistanat mais de développer un accompagnement qui soit un cadre « donnant-donnant » et « gagnant-gagnant ». Ce pacte pour la jeunesse, parce que pacte il doit y avoir, n’est en fait pas un pacte « pour » elle mais un pacte « avec » elle.

Il y aurait bien sûr beaucoup plus à dire sur les études et l’emploi en France mais ces thèmes seront, espérons-le, un axe central des primaires socialistes cette année et de la campagne présidentielle l’année prochaine. Le gouvernement actuel, malgré une réforme en demi-teinte sur l’autonomie des universités, ne semble pas avoir pris la mesure de l’urgence d’une grande réforme universitaire juste, innovante et efficace. Ce grand chantier est donc repoussé à 2012.

Espérons en tout cas que notre pays saura sauvegarder - et améliorer peut-être - notre grand modèle républicain, celui de l’école pour tous et de l’égalité des chances. Il est impératif que tous les jeunes qui souhaitent étudier ou entreprendre puissent le faire dans des conditions décentes, quelles que soient leurs origines sociales et géographiques. Quand l’Etat faillit à ce devoir, le sentiment d’injustice et de révolte peut être violent. C’est ce qui vient de se passer au printemps en Grande-Bretagne après l’annonce par le gouvernement du triplement des frais d’inscription à l’Université. Ces frais outre-Manche pourraient passer à 10.000 euros et marginaliser toute une classe sociale pour qui étudier deviendra, comme aux Etats-Unis, un luxe ou une source d’endettement.

George Danton, figure à la fois polémique et emblématique de la révolution française, avait déjà prédit en son temps : « Après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple ». Tâchons aujourd’hui de satisfaire ce besoin en créant un système plus efficace et plus juste.