« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ». Ces mots de Jean de la Fontaine écrits au 17ème siècle trouvent un triste écho dans notre France contemporaine de ce début de 21ème siècle. Difficile d’admettre que rien ou peu a changé depuis la Révolution Française et la fin du système monarchique. Stephen Clarke le décrit très bien dans son article du New York Times daté du 17 mai dernier (et repris par Courrier International) : « La France est persuadée qu'elle a fait la révolution, alors qu’elle s’est juste donnée une nouvelle élite, encore plus puissante ».
Cette réalité n’est pas nouvelle mais elle a éclaté au grand jour avec l’affaire DSK. Ce tintamarre médiatique a eu le mérite de faire ressortir tout ce qu’il y a de plus écœurant dans le système médiatico-politique français. Un niveau d’écœurement tel qu'aujourd’hui le système lui-même se trouve obligé de faire, chose extrêmement rare, son propre procès. L’histoire retiendra en tout cas que ce 15 mai 2011 aura été le 11 septembre de l’élite française, le jour où toutes les certitudes pratiques d'une certaine caste ont volé en éclat.
Au cours de cette longue semaine de feuilleton judiciaire, je m’étais pourtant juré que je n’allais pas écrire sur l’affaire DSK pour ne pas me retrouver à commenter une partie de Cluedo dont je ne connais absolument rien.
Mais j’ai tout de même une furieuse envie de m’exprimer sur la connivence de caste qui soudainement, à travers ce coup de tonnerre politique, est apparu comme une évidence aux yeux des Français... une connivence abjecte dont les protagonistes, aveuglés par leurs émotions et leurs amitiés, ont mis plusieurs jours à en réaliser le triste spectacle. C’est comme si pendant quelques jours on avait entrebâillé la porte du cercle des élites françaises et que toute la connivence de ces gens là avait été exposée (par inadvertance) à nos yeux de misérables. Heureusement, nos élites, réalisant qu’on les observait de nos chaumières provinciales, se sont reprises et ont doucement refermé la porte sur un mea-culpa poli.
Mais le mal était fait. Et aujourd’hui nous sommes nombreux à être dégoutés par cette connivence de caste que Jean de la Fontaine aurait sûrement eu à coeur de dénoncer s'il avait connu notre époque.
J’en veux tout d’abord à Dominique Strauss-Kahn d’avoir sali notre pays. Qu’il soit coupable ou non, ses frasques étalées en une de toute la presse internationale ont donné une image désastreuse de la France, un pays où la classe politique agit en toute impunité à l’abri d’une élite médiatique qui la regarde agir avec amusement et bienveillance.
J’en veux au système judiciaire français d'être si complaisant avec nos dirigeants politiques. Qui peut croire une seule seconde que cette même affaire aurait donné lieu à des poursuites en France ? Le fameux « tout le monde savait ». Oui mais en France les puissants ont les moyens de faire pression sur les victimes. La dépendance des procureurs envers le pouvoir exécutif est également un frein important au juste traitement des affaires.
J’en veux à cette solidarité de caste qui s’est exprimée ces derniers jours. J’en veux à toutes ces élites, ces élus politiques, ces journalistes, ces éditorialistes, qui tout d’un coup ne comprenaient pas que l’un d'entre eux puisse être montré menotté puis envoyé en prison comme n’importe quel citoyen américain. Ils ont parlé de honte pour la dignité humaine. Honte à eux. La justice américaine a au moins le mérite de remettre les puissants à leur place, c'est à dire au niveau des misérables qu'on n'hésite pas à condamner à la moindre faute.
J’en veux à la gauche française d’avoir perdu la bataille de la morale sur cette affaire et de faire le jeu de la droite. Comment est-ce que le Parti Socialiste a-t-il pu trahir toutes ses valeurs pour protéger l’un des siens ? Comment a-t-il pu oublier les valeurs du féminisme et de l’égalité devant la loi ? Dans cette affaire, j’en veux aux ténors du PS d’avoir ignoré la victime présumée pour privilégier la connivence entre « camarades ». Le désormais célèbre « il n’y a pas mort d’homme » de Jack Lang est une honte pour notre pays. Seules quelques personnalités et associations se sont indignées et ont dénoncé un inconscient machiste dans notre société. J’ai envie de citer Osez le Féminisme et Laurianne Deniaud, présidente du MJS.
J’en veux aussi à François Hollande d’avoir étouffé l’affaire de Tristane Banon pendant huit années, bafouant lui aussi la cause des violences faites aux femmes et le devoir républicain et non négociable d’une même justice pour tous. Honte à lui et ses acolytes qui étaient au courant.
J’en veux à la presse et aux médias de rentrer dans le jeu de nos hommes politiques et de cacher les affaires, même les plus graves, sous couvert du respect de la vie privée. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une question de respect de la vie privée. Je crois que c’est une question de connivence, purement et simplement. Comment, par exemple, peut-on imaginer que la presse soit indépendante quand tous les derniers mercredis du mois, nos journalistes parisiens les plus influents se rendent aux diners du Siècle pour décider du sort de la France en compagnie des hommes politiques de premier plan ? A l'intérieur de ce club très fermé, on compte à gauche Hollande, Aubry, Jospin, Fabius et bien sûr DSK. Ségolène Royal et Arnaud Montebourg n'étant pas sur la liste des invités, on comprend alors mieux qu’ils soient les mal aimés de l’élite médiatique.
J’en veux d’ailleurs à cette élite médiatique de ne pas faire son travail. Au lieu de nous informer, elle nous abreuve de propagande politique. Elle a honteusement essayé de nous vendre le produit DSK - malgré ce qu'elle savait du personnage - et n’a pas perdu de temps depuis dimanche pour nous faire la publicité du produit Hollande. Ce n’est plus du reportage, c’est de la réclame. Il faut aujourd’hui aller pêcher l’info dans les blogs citoyens pour réussir à s’informer convenablement.
J’en veux finalement à la France d’être un pays si centralisée. Si toute la classe politique, médiatique et financière n’était pas concentrée dans une seule ville, on n’en serait sans doute pas là. Nous n’aurions pas ce microcosme parisien où quelques élites décident du sort de 65 millions de Français en comité restreint, en prenant garde de protéger ses intérêts. Combien de gens savent que DSK était soutenu par le groupe Lagardère, l’un des groupes de presse les plus puissants au monde ? Comment peut-on croire une seule seconde que ces puissances économiques ne jouent pas un rôle considérable dans la manipulation de l’opinion publique ?
En fait, depuis quelques décennies maintenant, la classe médiatico-politique française essaye de divertir le peuple qu'elle gouverne à travers un affrontement droite / gauche finalement bien artificiel qui ne sert qu’à dissimuler la triste réalité dont parlait Stephen Clarke : notre société s’est dotée d’une aristocratie moderne, plus difficile à identifier qu'autrefois mais toute aussi puissante. Elle se croyait intouchable, l’affaire DSK l’a ébranlée. Juste ébranlé. Mais elle continuera de souffler le chaud et le froid jusqu’à la prochaine présidentielle.
J'espère que nos élites françaises vont bientôt connaître un second 11 septembre politique. J'espère que Ségolène Royal qui a su garder une certaine indépendance vis-à-vis de ce microcosme parisien saura déjouer les pronostiques. La France a besoin de quelqu’un qui sera la porte parole du peuple, qui travaillera avec le peuple et qui gouvernera pour le peuple. Pas pour les amis d'une certaine caste. Elle est celle que l’élite française a d'ores et déjà choisi de déclarer hors-jeu. Cherchez l’erreur.
Très bon article d’Agoravox en complément.